Sans faire de militantisme, Tonton voulait quand même nous inculquer les valeurs ouvrières de base.
Quand par exemple au détour du chemin où nous transportions quelque charge même légère, il s’effaçait ostensiblement pour nous laisser le passage, ce qui nous étonnait beaucoup. « Priorité aux travailleurs ! » disait-il.
Après le travail il nous amenait quelquefois « Chez Bébert », le petit Café au bord de la route, au débouché du chemin de terre, pour boire un Pschitt orange ou citron dont il faisait semblant de ne pas savoir prononcer le nom. Pichtt qu’il disait !!
Tonton avait toujours peur qu’on se blesse en jouant avec des bâtons pointus ou autres objets du même style. Un jour mon père nous avait ramené en cachette des lance-pierres. On y jouait quand le Tonton n’était pas là. Le reste du temps on le cachait dans la génoise du toit derrière le garage à côté du buisson de verveine, se souvient Bernard.
On avait un peu peur de lui et de sa grosse voix, surtout qu’il ne riait pas souvent et que ce qu’il disait n’admettait pas de discussion. Pourtant, dans son style, il ne manquait pas d’humour, en particulier quand il nous menaçait de nous clouer le chapeau de soleil sur la tête, quand on refusait de le porter au prétexte qu’il s’envolait avec le vent.
Quand nous allions à la campagne les dimanches de printemps ou d’automne, Tonton arrivait vers midi avec sa moto, et dans la remorque qu’il tirait il y avait toujours une grosse dame-jeanne pleine d’eau de la ville, car ma mère ne voulait pas que nous buvions l’eau du puits.
Tonton faisait tellement tout pour faire plaisir à ma mère, que nous avions commencé à penser qu’il était secrètement amoureux d’elle.
Tout jeune, je me souviens même d’avoir dit un jour à table à la maison que maman avait un amoureux ! Très gênée devant papa, ma mère m’avait alors obligé à dire qui c’était. Et quand j’avais avoué tout penaud que c’était Tonton, soulagés, ils en avaient ri très fort. En tout cas beaucoup plus tard quand nous avons posé la question à ma mère, elle nous a dit avec étonnement qu’elle n’avait jamais rien remarqué ! Coquetterie ou réalité, on ne saura jamais !
Célibataire et sans enfants, il a sacrifié sa vie pour s’occuper de sa mère.


A la vente des Moulières dans les années soixante-dix, il alla s’installer dans une petite maison en ville rue Mabily à La-Seyne, avec sa mère, jusqu’à ce qu’elle décède en 1980. Sa vieille 2CV grise avec laquelle il l’amenait chez nous le dimanche était alors une institution, avec son essuie-glace qu’il fallait manœuvrer à la main avec une molette au-dessus du parebrise, tout en conduisant.
Tous les dimanches, ma mère demandait à Fernand de lui acheter un billet de Tiercé, toujours avec les mêmes numéros, sans tenir aucun compte des favoris. Inutile de dire qu’on n’a jamais gagné, mais on regardait la course en direct à la TV avec beaucoup d’excitation, et le tante Elisa Paxé ne manquait jamais de s’effrayer que les chevaux étaient les uns contre les autres … « en moulon !! ».
A La-Seyne, son quartier général était au Bar des Vieux-amis, sur le Quai Gabriel-Peri. Il y passait beaucoup de temps avec ses copains autour d’un Pastis !
Ci-contre, le port de La Seyne vu du Bar des Vieux-amis.
Passionné par la pêche à la palangrotte, il acheta un petit pointu d’occasion à un ami et un emplacement pour l’amarrer à la sortie du port du Brusc. Il y allait régulièrement et on l’accompagnait parfois avec mon père et mon frère. J’avais souvent un terrible mal de mer et j’en garde des souvenirs mitigés ! La barque finira en décoration dans le jardin de notre maison du Brusc.
On ne connait bien sûr rien de sa vie sentimentale, mais on a toujours entendu parler d’une certaine madame Aubert, avec laquelle il devait avoir une deuxième vie ! Est-ce après sa disparition qu’il se laissa mourir dans son petit studio au Brusc ?

Le Tonton toujours avec sa coupe à raz !

Marino derrière le Cémami de Tonton dans le jardin de notre maison du Brusc en 2021.
« Cémami » pour César-Marius-Michel, les trois enfants du premier propriétaire.