La découverte du Trésor du Tonkin dans le grenier des Moulières, est un épisode très marquant de notre jeunesse qui fait que la Campagne et son trésor sont indissociablement liés pour nous.
Dans le cellier, à côté du grand pressoir à vis sans fin, il y avait une petite trappe au plafond, à laquelle on accédait avec une simple échelle. C’est dans ce grenier qu’on découvrit un jour, des grosses malles poussiéreuses pleines de trésors innombrables, dont des tas de peintures à l’huile de l’arrière-grand-père, des assiettes et des plats en porcelaine, des verres en cristal et les fameuses vaisselles chinoises !



Il y avait aussi une magnifique fresque murale en soie verte d’environ 1m50 de long sur une quarantaine de centimètres de haut. Elle était richement brodée à la main, et représentait fidèlement une procession lors d’une fête traditionnelle en Chine.
De nombreux personnages avec des costumes bariolés, des chars décorés, des dragons de papier




Malheureusement le plus beau char au centre avait été découpé par la grand-mère Bize, pour en recouvrir un coussin de canapé ! Sacrilège ! Le coussin a disparu dans les différents déménagements qui ont suivi, et il n’en reste que notre souvenir émerveillé. C’était une vraie œuvre d’art ! Le reste de la tapisserie est longtemps restée accroché au-dessus du canapé du salon de notre appartement de Toulon.
La très belle bague en diamant qui obsédait la grand-mère Bize à la fin de sa vie , n’était bien sûr pas dans ces malles ! Mais elle avait aussi été sûrement ramenée de là-bas !

Nous revoilà devant la question initiale. Qui donc a ramené toutes ces porcelaines, bijoux et soieries brodées trouvées dans le grenier de la Campagne des Moulières ? Fernand-Marius ou Jean-Baptiste ?
Comment Fernand-Marius avec ses faibles revenus d’ouvrier-mécanicien, aurait-il pu acquérir un tel trésor ! Bizarrement, ce n’est que très récemment qu’on s’est posé la question !
Si c’est lui, la réponse est malheureusement peu glorieuse !
On l’apprend dans les articles de presse que Pierre Loti a fait paraître dans « Le Figaro » en 1883. Pierre Loti, le fameux écrivain, a fait partie de la première expédition du Tonkin en Mai 1883, mobilisé dans le cadre de son service militaire.
Il a fait parvenir au Figaro une série d’articles décrivant avec une très grande précision les premiers combats autour des forts de la rivière de Hué, sous le titre "Trois journées de guerre en Annam". Mais Loti sera sanctionné pour ces révélations. Le récit des attaques violentes - et parfois les atrocités - commises par les troupes françaises ne plait pas à Jules Ferry et contrarie la propagande coloniale de l’époque.

Même si Fernand-Marius n’a pas pris part à ces batailles, il aurait probablement racheté à moindre prix ces « souvenirs », aux troupes de marins ayant participé aux combats les plus sanglants, et à ce titre, au pillage des villes conquises, prélevant tous ces trésors dans les magasins et bijouteries désertées.
Je préfère penser que c’est plutôt Jean-Baptiste qui, suite à sa réussite commerciale à Hanoï, a dû acquérir toutes ces chinoiseries et les a ramenées à Toulon en venant pendant ses congés, voir Marie-Bize, en empruntant ces bateaux de croisière à vapeur réguliers que prenaient les riches colons pour leurs vacances en métropole. La fameuse bague en diamant de Marie, était donc sûrement aussi un cadeau de son mari !