Marino se souvient que le soir, accoudée au fenestron de la chambre avant de se coucher, elle imaginait, en grande romantique qu’elle était, voir arriver de loin celui qui serait un jour son mari !! Elle n’avait que 12 ans ! Il faut dire qu’elle lisait pendant des heures dans le fauteuil de la véranda avec le chat sur les genoux, les romans-photos à l’eau de rose de la grand-mère, au grand désespoir de notre père !
Quand Bernard et ma mère revenaient de Luchon, on restait encore à la Campagne jusqu’à la fin de l’été.
De peur qu’on échappe à sa surveillance, notre grand-mère nous avait raconté des tas d’histoires horribles sur les voisins, dont celle d’Emilienne qui avait assassiné son mari avant de jeter son corps dans le puits. On passait devant sa ferme à-moitié en ruines en serrant les fesses, quand on prenait le petit chemin avec nos parents vers la plage de Fabrégas à une heure de marche.
Mais à part ça on se contentait de jouer devant la véranda où à la rigueur dans la pinède des Sias à côté, où on se gavait de pignons avec la petite voisine, Hélène. Zabeth se souvient qu’elle, Marino et Hélène passaient des heures à se déguiser avec des robes espagnoles de la mère Sias.
Rétrospectivement on peut s’interroger sur la personnalité de ce monstre qu’était Emilienne. En fait il est probable que c’était une brave femme, régulièrement battue et violée par son ivrogne de mari quand il revenait le soir du bar de « Chez Bébert ». Mais une fois délivrée de son tortionnaire, elle a dû être complètement rejetée par le voisinage en tant que meurtrière de son mari ! Mais ceci aussi n’est qu’une hypothèse gratuite !
Régulièrement nous allions à pied avec ma grand-mère et ma sœur rendre visite aux deux sœurs vieilles filles, Marie (la plus rigolote et la plus ronde) et Margot (la plus maigre) Ballahucco. Pour ça on prenait la petite route en face de l’arrêt du car, le bien nommé « Quatre-chemins ». On s’ennuyait ferme là-bas, mais ça faisait une promenade. Pour nous elles étaient très vieilles : en fait elles devaient être dans leur soixantaine à peine.
Mon oncle avait monté un atelier étroit dans le garage du fond, coincé entre le mur de façade et la cuve à raisin en béton. Il y avait un établi et des tas d’outils pour les réparations indispensables dans une ferme. Comme mon oncle m’avait appris, je redressais pendant des heures les clous tordus, pour leur donner une seconde vie. Une année il nous construisit une vraie petite voiture à pédales avec une carrosserie en planches. On la trouva en arrivant au début de l’été. Il était comme ça le Tonton ! Cela reste un souvenir inoubliable !


Quand Tony et Dédée amenaient nos cousins en voiture, pour la journée, nous jouions tous sous le grand cerisier pendant des heures aux cowboys et aux indiens. C’est même immortalisé par un film 8mm de Tony, que nous avons précieusement conservé. Plus tard, jeunes adolescents, toujours ensemble, nous avons aussi tourné des petits films de fiction simplistes avec cette caméra de Tony.
On voit le portail au fond. La grande fosse que nous avions creusée pour jouer serait entre le portail et le groupe. La petite fille au centre n’est pas Martine, mais sans doute Fabienne Biessy. Marino et Zabeth sont déguisées avec les robes espagnoles de la mère Sias !
Un été alors que nous étions enfants, nous avions creusé près du chemin, mon frère et moi, une grande fosse d’un mètre et demi de profondeur environ, en forme de barque pointue dans laquelle on jouait sans fin. On ne savait pas trop pourquoi, mais le Tonton nous y avait aidé, vers la fin. Le printemps suivant, tout excités à l’idée de retrouver notre terrain de jeu favori, nous avons vu que notre oncle l’avait rempli avec … les ordures ménagères ! Il était aussi comme ça le Tonton ! Mais nous n’avons rien oser dire !

Ce portail monumental est sans doute celui de la propriété attenante des Sias.

Je me souviens aussi très bien qu’à la fin d’un été très chaud, la haie de chênes centenaires qui bordait la propriété derrière les vignes, près de la « Rôtisserie » (une ancienne rôtisserie de cacahuètes ensuite rachetée par la société des yaourts Danone) s’était embrasée soudainement dans un incendie sans doute déclenché par des passants ou par le soleil sur des tessons de bouteille. Ce fut un vrai crève-cœur de les voir ainsi partir en fumée. Cet épisode marque le début de la fin de cette période heureuse.
En l’absence de mon oncle qui avait commencé à travailler comme dessinateur aux Chantiers de La-Seyne, ma grand-mère avait peur de rester seule, malgré notre gros chien noir (qu’on avait baptisé « Black », allez savoir pourquoi !) attaché à une longue chaine coulissant sur un filin tendu entre deux arbres devant la véranda. D’autant plus qu’elle était sourde ! Fernand avait bien installé une « sonnette » qui allumait une lampe rouge au-dessus de la pile. Mais ça n’a pas suffi pour la rassurer. Ma grand-mère et mon oncle décidèrent donc d’aller s’installer dans une petite maison en ville à La Seyne, pas loin du marché où, jeune, elle vendait ses produits fermiers.

Sur la photo ci-dessus on la voit en 1937 dans la véranda des Moulières avec le jeune Black dans ses bras. On reconnait les carreaux de ciment au sol